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Arman Mostofi, journaliste et exilé : «Les Iraniens sont patriotes, mais ils n’ont jamais été nationalistes»

ENTRETIEN. Exilé en France, le journaliste iranien Arman Mostofi décrypte les dessous du fragile cessez-le-feu entre Israël et Téhéran. Il évoque un régime affaibli, miné par la paranoïa et la crise. Et met en lumière le rôle trouble de Vladimir Poutine dans le conflit.

Propos recueillis par Pascal Bories , Mis à jour le
Arman Mostofi était directeur d’un centre régional de radiotélévision dans le sud du pays lorsque la révolution islamique a eu lieu, en 1979.
Arman Mostofi était directeur d’un centre régional de radiotélévision dans le sud de l'Iran lorsque la révolution islamique a éclaté, en 1979. NurPhoto via AFP / © Morteza Nikoubazl

Le JDD. Le cessez-le-feu entre Israël et l’Iran, après douze jours d’affrontement direct, est-il susceptible de tenir dans le temps ?

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Arman Mostofi. On ne peut pas le dire avec certitude. Donald Trump affirme que toutes les capacités d’enrichissement d’uranium de l’Iran ont été détruites, ce qui était le but de l’opération, donc ce cessez-le-feu pourrait être durable. Mais du côté israélien, on entend une musique assez différente. Eux parlaient également des capacités balistiques du régime, qui ne sont pas totalement anéanties.

Selon Israël, 30 % de cet arsenal n’a pas été endommagé, détruit ou consommé. Et sur plusieurs milliers de missiles, 30 %, c’est beaucoup. D’autre part, les proxys de l’Iran au Yémen ou au Liban, bien qu’affaiblis, gardent leur capacité de nuisance. Enfin, les Israéliens doutent de la destruction des capacités d’enrichissement d’uranium du régime islamique et de l’arrêt de sa course à la bombe.

Personne ne sait où sont cachés les plus de 400 kg d’uranium déjà enrichis à plus de 60 %. Et le Parlement islamique iranien a approuvé une proposition de loi qui oblige à cesser toute coopération avec l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), « tant que l’Iran n’a pas la garantie de la sécurité de ses installations nucléaires ». Or, qui va leur donner cette garantie de sécurité ? Sûrement pas l’AIEA… Le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont déjà menacé de déclencher le snapback, un mécanisme de retour automatique de tous les embargos et sanctions des Nations unies qui avaient été suspendus par l’accord de 2015. Et si l’Iran décide de reprendre ses activités nucléaires, Israël a prévenu qu’il n’hésitera pas à attaquer de nouveau.

Que reste-t-il du pouvoir de l’ayatollah Khamenei et des Gardiens de la révolution, amputé d’un certain nombre de ses plus hauts dirigeants ?

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La seule personne qui a encore du pouvoir en Iran, c’est Ali Khamenei. Personne d’autre. Le seul organe qui est toujours puissant et fort, ce sont les Gardiens de la révolution. Mais le régime est affaibli, il a perdu de sa superbe, même aux yeux de la petite minorité qui le soutient. Et surtout, maintenant, tout le monde soupçonne tout le monde : chacun voit dans son collègue un espion israélien. Une épuration de type stalinien est inévitable. Problème : à qui confier la purge, parmi les Gardiens de la révolution et les organes de renseignement ? Comment être certain que la personne choisie ne soit pas un agent du Mossad ?

« Khamenei essaie par tous les moyens de provoquer un sentiment nationaliste chez les Iraniens »

Dans une vidéo, l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad dit que le chef du « bureau Israël » au sein du service de renseignement des Gardiens de la révolution, le plus haut responsable de la lutte contre Israël, était lui-même un agent du Mossad… On l’a arrêté, il a été exécuté. Mais son successeur était aussi un espion israélien, qui a été arrêté à son tour. La purge n’a donc pas encore commencé, mais je peux vous assurer qu’elle ne va pas tarder.

En attendant, je constate autre chose : le samedi 5 juillet, après avoir passé vingt-deux jours dans son bunker, Khamenei a fait sa première apparition publique pour les célébrations du martyre du troisième imam des Chiites. Et pour la toute première fois, au lieu des poèmes islamiques à la gloire de l’imam et de la religion, il a demandé qu’on entonne des poésies à la gloire de l’Iran et de son histoire… Des chants patriotiques dans les mosquées et les cérémonies religieuses, on n’avait jamais vu ça.

Khamenei essaie par tous les moyens de provoquer un sentiment nationaliste chez les Iraniens, pour qu’ils soutiennent le régime. Or, je vois sur les réseaux sociaux notamment que ça ne prend pas. Les Iraniens sont patriotes, mais ils n’ont jamais été nationalistes comme l’Égypte de Nasser ou les Baasistes en Irak. Et le régime s’est toujours défini comme internationaliste et islamique.

Comment vit aujourd’hui la population iranienne ? Est-elle susceptible de se soulever à nouveau pour tenter de renverser le régime ?

Nous sommes revenus à la situation qui était celle du pays il y a trois mois : une crise de l’électricité, de l’eau, du carburant, et une inflation galopante, ce qui crée des risques d’émeutes. Par ailleurs, la majorité des Iraniens éprouvent de l’amertume, du fait qu’Israël n’a pas fini le travail et éliminé Khamenei. Les Israéliens ont visé en priorité ce qui concernait leur sécurité et celle de leur opération.

« Je pense pour ma part qu’il y a un cinquième acteur : Poutine »

On avait un grand espoir qu’ils suppriment l’obstacle qui se dresse devant le peuple, en frappant les forces de répression. Le dernier jour de l’opération, ils avaient commencé à frapper les Bassidjis, les Gardiens de la révolution responsables de la sécurité de Téhéran… Mais cette opération a été stoppée net par Donald Trump, à la demande de Vladimir Poutine.

Comment pouvez-vous affirmer cela ?

Le dimanche 22 juin au soir, Donald Trump évoquait l’idée d’un « changement de régime » en Iran, déclarant sur sa plateforme Truth Social : « Si le régime iranien actuel est incapable de rendre à l’Iran sa grandeur, pourquoi ne peut-il pas y avoir de changement de régime ? » Moins de 48 heures plus tard, après avoir eu une conversation téléphonique avec Vladimir Poutine, il a fait volte-face et déclaré : « Un changement de régime mène au chaos, et idéalement, nous ne voulons pas voir autant de chaos. »

Entre-temps, le ministre iranien des Affaires étrangères était allé rencontrer Poutine à Moscou. À la mi-journée, Poutine avait annoncé que la Russie allait réagir. Le lundi soir, donc, Trump appelait Netanyahou pour exiger un cessez-le-feu « immédiat », au point que celui-ci a été obligé d’ordonner aux avions israéliens qui étaient en l’air de ne pas larguer leurs bombes et de revenir à leur base. Trump a aussi envoyé un message au Qatar pour qu’il soit transmis à Téhéran, qui a accepté de cesser le feu. On parle de quatre acteurs dans ce conflit : les États-Unis, le régime iranien, Israël et le peuple iranien. Je pense pour ma part qu’il y a un cinquième acteur : Poutine.

Biographie d’Arman Mostofi

Arman Mostofi, né en 1947 en Iran, est diplômé en journalisme de l’université de Téhéran. Il a commencé à travailler comme reporter pour la télévision iranienne en 1969. Lorsque la révolution islamique a eu lieu, en 1979, il était directeur d’un centre régional de radiotélévision dans le sud de l’Iran. Un an après la révolution islamique, Arman Mostofi a quitté le pays et demandé l’asile politique en France. Après avoir occupé divers postes, il a rejoint Radio France Internationale comme journaliste en 1999.

En 2007, il s’est rendu à Prague et a travaillé comme journaliste à Radio Farda, le service iranien de Radio Liberté/Radio Free Europe, qui dépendait directement du Congrès américain. Trois ans plus tard, il a été nommé directeur de cette station et a occupé ce poste pendant huit ans avant de prendre sa retraite en 2018.

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